samedi 24 octobre 2009

Fenêtres

On a vécu ensemble 15 mois sans se rencontrer, par la fenêtre... C'est amusant comme les choses évoluent. Au rez-de-chaussée, une maman donne à manger à un petit brun de moins d'un an. Elle était donc enceinte, lorsque j'ai déposé mes cartons dans mon studio, et voilà qu'il connaît déjà la cuillère et la soupe de carottes qui tache... Deux étages au-dessus, il y a cette petite famille dont le garçonnet est toujours le premier levé, même le dimanche. Il regarde des dessins animés dont je profite sans le son sur l'immense écran du salon. Parfois, à midi, le papa semblait travailler à la maison, j'ai même cru un moment que les parents étaient peut-être séparés... mais ce soir, c'est ensemble qu'ils font la cuisine, bavardant sans doute du déjeuner chez la famille de madame, demain midi. On sera dimanche. Des jeunes font la fête un peu plus haut à droite, on entend la musique en fond, les voix plus fortes que d'ordinaire, les rires, ceux des femmes surtout. Qu'est-ce qu'ils fêtent? Rien, sans doute juste le samedi.

Même fermés, les rideaux sont ouverts. A cause de la lumière, des ombres chinoises qui s'y découpent. On suppose. On imagine.

L'immeuble en face est grand, rectangulaire, jaune, triste. Plein de fenêtres identiques, vastes et nues, alignées et froides. Les hommes n'y vivent pas le jour: il n'y a guère qu'un chien, que je devine petit, pour aboyer toute une après-midi dans la cuisine dans laquelle il est enfermé. Aujourd'hui, quelqu'un a emménagé quelque part, dans l'un des appartements en face de celui que je vais quitter bientôt. Ils ont arrêté le camion dans la rue, ont déchargé expressément, il n'y a même pas eu de coup de klaxon.

Et pourtant, les automobilistes ne s'en privent pas, lorsqu'un livreur, un créneau délicat, ou un feu rouge trop longs les agacent. Alors on ouvre les fenêtres, on jette un oeil aux toits des voitures en file indienne, dont certaines font déjà marche arrière, puis on lève les yeux et on découvre que les voisins d'en face se penchent aussi par les fenêtres ouvertes.

On sort aussi la tête lorsque quelqu'un hèle un habitant depuis le trottoir. Les gens aux fenêtres sont par nature curieux... c'est même tout un art, que de regarder sans se faire voir par un rideau à peine levé, une fenêtre juste entrebâillée, lorsque ce sont les pompiers ou la police, ou que l'on n'est pas encore habillé... Repéré, on rabat fautivement le voile... pour l'écarter à nouveau quelques secondes plus tard.

En été, lorsque la rue est calme, l'immeuble en face aveuglé de lumière, on aperçoit son reflet dans la vitre et l'on rêve de petites ruelles ocres d'Amérique du sud, entre ombre et soleil, les draps suspendus d'un balcon à l'autre, et les hommes bruns qui passent dessous, saluant d'un sourire et d'un signe ces filles accoudées... Mais si la ruelle est calme, c'est que les volets sont tirés. Point de vis-à-vis. Point de jeunes éphèbes en sueur.

Et ce soir, accoudée à la rambarde, fin du mois d'octobre et début des fraîcheurs acides, je passe en revue ce royaume que je n'ai jamais eu, ces vies que j'ai cru connaître sans jamais les approcher, je pense à toutes ces microscopiques bribes de vraies histoires qui m'ont paru indifférentes, mais qui ont silencieusement peuplé mon quotidien. Il y a peut-être en face un curieux qui parfois voit une fille brune s'accouder quelques instants à la seule fenêtre qu'elle possède, puis disparaître derrière ses rideaux clairs. Il a peut-être aperçu une ombre se déchaîner sur de la musique, mais sans savoir que c'était du Lady Gaga, du Akon, ou du Patrice. Il a parfois aperçu cette petite pièce à la porte verte, là, à gauche, en se demandant où s'arrêtait l'appartement, s'il était grand... Où mènent-elles, ces portes? Que vois-je, par cette fenêtre? Rien, sans doute... ou si peu!

Alors c'est pour ça, certainement, qu'ils ne ferment pas leurs rideaux, et qu'ils se moquent qu'on devine leur manière de cuisiner ou leurs émissions favorites. Car en ville, on ne connaît pas son voisin. On le voit. C'est tout.

mercredi 25 février 2009

Kids...

Ce mercredi d’ennui, lassée de faire le tour de ma pièce principale de 9m², j’ai été faire une boucle au Parc de la Tête d’Or. J’y suis allée en prenant conscience que je profitais de moins en moins de ma ville, à force d’étudier, de travailler, et de dormir. J’y suis allée en me disant que si j’étais amenée à déménager dans les mois à venir, ce qui me manquerait le plus serait ce parc, cette immense parenthèse verte tout à côté de chez moi, et ce, même si j’habitais la montagne ou la campagne. Car il n’est beau que parce qu’il est en ville.

Comme chaque fois, à la Rousseau, chacun de mes pas m’a conduite à de nouvelles phrases, à des constats et des inspirations. Mercredi est encore le jour des enfants, et avec ce soleil doux qui présage de l’arrivée prochaine des beaux jours, le parc était très animé ; nous n’étions que très peu à marcher solitairement, tous allaient en couples âgés, en groupes d’adolescents, en familles à poussette, en papas avec le ballon de rugby, en amoureux sur le banc… Même les pigeons et les canards n’allaient pas seuls. Pour éviter un peu la foule des barbapapas et des toboggans, et mieux profiter du calme, j’ai contourné les allées centrales jusqu’à gagner le lac dont je souhaitais découvrir l’autre rive. A mesure que je déambulais à l’ombre des branches nues, ricanant sous cape d’un père qui récupère à l’aide d’une longue branche un ballon tombé à l’eau, et qui sermonne son fils en menaçant de l’y jeter la fois prochaine, déroutant mon chemin pour anticiper la trajectoire hasardeuse d’un apprenti cycliste, attendrie par deux jeunes hommes qui font rire une petite fille en lançant sa poupée dans les airs, j’ai apprécié de pouvoir pleinement jouir de la nature, même apprivoisée, et d’oublier les sirènes et klaxons.

Mais j’ai aussi compris qu’on ne profitait vraiment de cette nature qu’avec des petits doigts capables de ramasser des feuilles mortes aussi délicatement que s’il s’agissait de fleurs fraîchement écloses. Que la terre battue qu’on piétinait n’avait de sens qu’avec les petits pas trébuchant sur les racines et les cailloux. Et qu’il manquait à cette longue observation des prunelles si rondes, si douces qu’elles sont incapables de saisir les angles et les épines de ce monde. Il me manquait, pour vraiment apprécier cette promenade, ces petits enfants curieux et câlins, comme mes neveux, dont même les pleurs sont des tendresses, et qui s’émerveillent de chaque petit savoir que nous leur transmettons. Maintenant, je sais pourquoi beaucoup d’adultes disent aux enfants : « Comme tu as grandi ! » C’est lorsqu’ils ont manqué ces années d’innocente aventure pendant laquelle tout est brodé de fil d’amour et perlé de beauté. Et en disant cela, ils pensent en réalité : « Tu es déjà grand, hélas. »

jeudi 25 septembre 2008

Traboules et Rhône

Lorsque j’aborde le quartier St Jean, les cloches de la cathédrale tintent puissamment et l’on se hâte pour assister à la messe, ignorant les mendiants installés au pied des moulures et dont les masques jonglent avec une expérience certaine entre l’imploration lorsque quelqu’un passe, et l’ennui du temps lorsqu’il n’y a personne. Devant l’autre porte, c’est une fillette qui sert d’appât, dans un survêtement rose, elle parle même toute seule dans sa basse besogne. Je dépasse le parvis pour pénétrer dans la rue éponyme d’un des plus vieux quartiers de Lyon, à la recherche de quelques accès sur des trésors d’architectures cachés. Je ne regarde déjà plus devant moi, mais à droite et à gauche, guettant comme des indices sur les lourdes portes sculptées ou clouées surmontées d’arches de pierre, et je marche doucement à la fois pour ne pas trébucher sur les pavés, et pour ne pas heurter ceux qui comme moi musent d’une maison à une autre. Si certaines sont grandes ouvertes, pour d’autres il faut oser pousser le battant juste entrouvert, et l’on a alors l’impression de se dérober comme un fugitif. La plupart des cours baignent dans un puits de lumière tamisée et le silence contraste fortement avec la rue. Je ne connais d’équivalent à cette quiétude et à cette douceur de la pierre propres au repos des sens que dans certains lieux de culte, chrétiens ou non. La plupart des visiteurs, d’autant plus lorsqu’ils sont solitaires, aspirent au recueillement en traversant ces cours. Elles sont construites hautes et étroites, parfois avec une tour pour l’escalier, et j’apprécie tout autant celle peinte d’un rose vif, plutôt épurée, que celle dont on a rénové un plafond où de dodus bambins dénudés, ailés ou non, côtoient de nobles armoiries. Il y a celles dont les balcons croulent sous des plantes gorgées de vie, et puis une autre qui me fait frémir tant elle est grise, délabrée et morte. Les murs semblent recouverts de suie et se détachent par plaques, une rampe en fer rouillé court le long d’un béton écorché, des fils de toutes sortes pendent depuis les hauteurs, une grande porte à laquelle quelques lattes ont été arrachées dort sur de la poussière et des toiles que les araignées ont abandonnées, et la seule couleur que je perçois est celle du couvercle des poubelles. Les matériaux me font penser qu’il s’agit d’une construction « moderne », très indigne de porter le même titre de cour que ses consœurs. Je crains de marcher sur un rat crevé et ne m’y éternise pas. Dans certaines traboules, je reste quelques instants dans l’ombre à admirer la silhouette de la porte entrouverte sur la lumière du dehors, l’agitation de la rue. Je suis comme ce chat qui nous observe, couché en boule sur le bord d’un ancien puits, qui ferme ses yeux comme deux fentes obliques et les rouvre surpris de nous revoir, mais ne bouge pas, préférant goûter à la résonnance et à la lueur toutes particulières du lieu que de s’en aller bousculer dans une rue où l’on parle fort en claquant des talons sur les pierres. En remontant les rues et les places, j’aperçois sur les quais un marché d’artisanat et d’art où les exposants rivalisent en créativité. Les bijoux ont la part belle, mais j’y croise aussi une dentelière aux cheveux poivre et sel qui continue de tisser sous un soleil tendre en attendant les visiteurs, deux compères qui transforment de simples galets en caricatures humaines, en chats et en chouettes, et un ébéniste qui a entre autres confectionné une petite commode en forme de singe cubiste. Les exposants plaisantent entre eux, nous guettent du regard, ou bavardent avec quelques-uns. Quelque part, j’aperçois des miniatures de chambres à coucher, cuisines, salons et bibliothèques, des suspensions mobiles en bois et objets de récupération, des aquarelles émaillées, des aimants, des sculptures plus ou moins évocatrices, des tableaux avec des petits personnages et éléphants en argile, et sans doute bien d’autres choses qui se sont un peu effacées de ma mémoire. Je retourne sur mes pas et traverse la Saône par la passerelle du Palais de Justice, où une fanfare de cuivres me fait m’arrêter. Ils interprètent avec beaucoup de cœur et d’enthousiasme des reprises de thèmes modernes et célèbres, et on est nombreux à s’adosser à la rambarde, au beau milieu du fleuve, pour les écouter et les applaudir. Après avoir admiré les reflets de leurs instruments et détaillé la foule du bout de mon objectif, puis avoir traversé un marché de produits locaux où les fromages de chèvre côtoient le pain au levain bio et les poires pulpeuses, je repasse place Bellecour, où les travaux d’embellissement nous valent pour le moment des barrières plutôt laides, remonte la rue de la République, et rejoins les quais du Rhône par le pont Wilson. On se prélasse sur les pelouses, on mange sur l’eau, on skate et on vtt, on saute en trottinette dans le roller park, et pour changer d’allée on traverse des parterres de trèfle et de fleurs. La Pie, Bregel, Sylphe, Nid d’Amour, Djoliba et les autres péniches gîtent doucement sur leurs bancs de sable, solidement amarrées par des câbles d’acier, et leurs habitants prennent le café sur le pont tandis qu’une chatte noire au bas-ventre grossi par une opération fait le tour du propriétaire et roulant nonchalamment des épaules. Non loin de là, des flibustiers hauts comme trois pommes partent à l’abordage d’un navire imaginaire, pilotant fièrement leur épave de bois à corps et à cris, des enfants se jettent depuis le trottoir dans les toboggans au bout desquels deux grands bras ouverts les attendent, d’autres chevauchent des escargots et des baleines de bois, et au milieu on s’extasie devant le cheminement de l’eau d’une fontaine digne d’une œuvre d’art moderne, avec ses plateaux de différentes hauteurs et son hélice hydraulique. Sur l’autre rive, trois cygnes pavanent de toutes leurs plumes, et paraissent dédaigner l’agitation humaine d’un air princier. En avançant dans ma promenade, j’aborde une zone que j’apprécie non moins, où les péniches amarrées sont isolées du quai par une berge peuplée de saules, de marronniers, et d’autres arbres au feuillage dense. Parfois, un ponton s’appuie sur le béton, et une boîte aux lettres ou une pancarte annonce le nom de l’embarcation, et quelques bancs éparpillés le long de la rive accueillent des groupes d’amis bavards et souriants. Je retourne à la rue par un raide escalier en haut duquel ont été abandonnées les anciennes boîtes aux lettres, vides et poussiéreuses, dont on a retiré les portes. L’excursion touche à sa fin, je vais rejoindre mon studio par les belles rues commerçantes, si calmes en ce dimanche…

Tête d'Or

Ciel bleu de carte postale, je l’aperçois par-dessus l’immeuble d’en face, en plus j’ai eu des parisiens au téléphone qui m’ont confirmé leur mauvais temps légendaire… alors je me dis qu’il serait triste de gâcher un si beau dimanche. En remontant la rue de la Tête d’Or, je croise des boutiques fermées, des coiffeurs, des boulangeries, des bars, et même un sex shop. C’est calme, presque désert, un parfum de vieux livres s’échappe d’un angle de rue, je le respire à chaque fois que j’y passe. Ça se bouscule aux grilles du parc, certains viennent quand d’autres repartent, avec ou sans marmaille. A l’ombre des marronniers, à l’écart d’une des allées gravillonnées, un petit vieux fait face à une petite vieille, chacun sur son banc, et tous deux lancent des miettes à des pigeons qui parfois s’effraient dans un bruissement d’ailes. Ça ressemble à un rituel, et je pressens que dimanche prochain je les retrouverai là, et le dimanche d’après, aussi, et encore, toujours, même s’il pleut, jusqu’à ce que l’un d’eux rejoigne les oiseaux… Je m’éloigne, mais je suis déjà imprégnée de ce philtre étrange qui met le sourire à toutes les lèvres. Ici, ça roller, ça patinette, ça tricycle, ça Vélo’V, et ça poussette, ça discute de sculptures comme de goûters d’enfants, et ça commente aussi : « Oh regarde, la girafe : elle marche ! » Les animaux ont l’amabilité de se montrer, les girafes balancent doucement leurs hautes têtes en soupirant d’ennui, les oiseaux prennent leur bain puis se sèchent sur les pierres ensoleillées, les singes observent les humains, les crocodiles posent infatigablement, gueules ouvertes, pour des promeneurs dont le sang-froid ne tient qu’à une vitre, et monsieur le lion fait les cent pas avec sa compagne, loin de leur ignorée savane, pour le bonheur des hommes. Seule la famille zébu parvient à s’isoler derrière les barrières végétales, mais entre deux buissons, leurs immenses cornes les trahissent. Non loin de là, des enfants juchés sur des animaux de bois tournent au rythme d’une musique traditionnelle, d’autres s’envolent au rythme des balançoires. Il y a les familles et les petits, mais il y a aussi les couples seules, les bandes de potes, et les promeneurs solitaires comme moi. On croise des poitrines décolletées et des voiles, des jambes poilues et des pattes plus encore, des attirails gothiques, des tongs et des talons… A la roseraie, les fleurs finissantes rivalisent dans un dernier effort pour leurs couleurs, espérant que quelque personne se penchera encore sur elles, et je tombe sous le charme de la douce blanche qui joue avec le soleil, confiante et innocente. J’ai poussé la promenade jusqu’au lac, sur lequel les petits bateaux croisent les pédalos, et la multitude des reflets me séduit, je m’y arrête quelques instants. Sur la rive en face, du côté de la cité internationale, des coureurs profitent de l’ombrage, et des embarcations accostent sur le large escalier blanc au milieu du lac, qui ressemble d’ici à un vestige de l’Atlantide. J’ignore où il mène… Je m’en retourne par les pelouses où l’on joue au ballon et où l’on chahute avec les enfants, je croise des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, et à l’entrée, je retrouve mes petits vieux, au même endroit. Mais l’homme a rejoint la femme sur le banc, et ils lancent toujours de petites miettes. Je passe les grilles du parc le cœur léger comme après un beau roman…